mercredi 9 novembre 2011

Quelle place pour la technologie, l'interactivité, et tout le reste, dans le spectacle contemporain? Quelques réflexions

Dernièrement, j'ai assisté à une série de spectacles convoquant des moyens technologiques importants, qui m'ont profondément interpellée au niveau de ma conception du théâtre. Certains de ces spectacles comprenaient aussi une part plus ou moins grande d'interactivité. J'ai retiré de ces expériences beaucoup de frustrations, que je vais tenter de synthétiser en quelques points.

1. A partir du moment où il y a des acteurs sur scène, la priorité fondamentale devrait rester, par respect pour leur art, pour leur métier, pour leurs compétences, et pour le public, que leur travail tienne debout tout seul. Non pas que d'autres moyens (lumière, projection vidéo, contribution du public, déplacements du public, son) n'aient quelque chose à dire de différent, de complémentaire. Non pas que ces autres moyens soient des accessoires. Au contraire : si ces autres moyens ont quelque chose à dire, il faut absolument que le travail des acteurs soutienne la comparaison. Les différents éléments concourant à la construction de la représentation doivent atteindre un équilibre de qualité, d'intensité, de perfection dans le développement des moyens et du langage qui leur sont propres, afin qu'il puisse y avoir un réel dialogue entre ces différents langages et moyens ; afin qu'un tel dialogue apparaisse soudain comme nécessaire. Or, de façon symptomatique, il m'est apparu récemment que le travail des acteurs se fait bien souvent faible, se cachant derrière une débauche de moyens empruntés à d'autres langages, déléguant ce que l'acteur, avec sa voix et son corps, est capable de dire, et de dire autrement. En tant que spectateur, j'ai alors l'impression d'assister à une démission de l'humain devant la technologie, à un fétichisme adulant des moyens qui ne sont après tout que des outils construits par l'homme pour atteindre des effets voulus par l'homme, outils, donc, maîtrisés autant que l'est (ou que devrait l'être) le travail de l'acteur (ou du danseur, du performeur, de l'acrobate...). L'usage de dispositifs novateurs ne ne doit ni assumer une fonction supérieure ni une fonction subordonnée à ce travail de l'acteur : il s'agit de langages autres, qui ont chacun un propos et une excellence à développer.

2. Mettre en rapport ces langages, contrairement à ce que la débauche de spectacles mixtes actuelle pourrait laisser penser, n'est pas une chose facile. On en a pour preuve toute une série de spectacles qui ne tiennent pas leurs promesses à ce niveau. La difficulté en la matière ramène fondamentalement toujours à un problème d'ECRITURE. Problème largement sous-estimé aujourd'hui si l'on en croit ce qu'on voit dans les salles. Au fond, travailler avec différents langages artistiques, ce serait un peu comme écrire un spectacle en différentes langues, un peu de mandarin, un peu de français, un peu de norvégien, un peu de congolais... sauf que ce serait encore plus compliqué, parce que, outre les variations fines en termes de concepts, de cultures et de visions de la vie qu'on rencontre dans l'opération de traduction linguistique, on se trouve dans le cas du dialogue entre les langages artistiques en présence de différents univers qui n'utilisent pas les mêmes "mots", puisqu'ils ne travaillent pas avec le même médium. L'opération se révèle donc extrêmement délicate, spécialement dans l'analyse nécessaire des valeurs et des intensités à donner aux différents langages que l'on entend coordonner. Le dialogue avec les artistes travaillant avec chacun des médiums convoqués sur un spectacle doit donc, plus que jamais, être profond, bienveillant, disposer de temps, d'ouverture d'esprit, de respect mutuel des expressions. Cet équilibre précaire n'est pas impossible à atteindre ; mais il doit être écrit, pensé rigoureusement.

3. En particulier pour les spectacles interactifs ou reposant sur une expérience du public, il faut vraiment que l'artiste s'interroge sur le degré de respect qu'il témoigne à ce public. Lorsqu'on me fait participer à un spectacle sans que je voie à aucun moment aucun artiste intervenir, je ne peux m'empêcher de m'interroger sur le fait qu'on me prenne au sérieux ou pas - et si l'écriture du spectacle (c'est-à-dire : l'insertion de la composante interactive dans une véritable construction sensée, qui ne doit pas spécialement être compliquée, mais pour le moins avoir le mérite d'exister), si l'écriture du spectacle, disais-je, n'est pas au rendez-vous, si, donc, l'artiste me prend pour une imbécile... je ne peux que prendre l'artiste pour un imbécile également. C'est la différence d'écriture qui fait que "Diorama" de Martin Chaput et Martial Chazallon est un spectacle qui me respecte, alors que "Le Sacre du Printemps" de Bernat est un spectacle qui me prend pour une imbécile.
Car assister/participer à un spectacle interactif ne doit pas se confondre avec : venir/participer à une activité de club de vacances. Lors de la rencontre avec le public à l'issue de la représentation du "Sacre du Printemps" au Pacifique, un spectateur demande à Bernat pourquoi il travaille avec des publics. Sa seule réponse est une boutade : ce travail est finalement moins stressant que de travailler avec des professionnels, parce qu'on ne sait jamais ce qui va arriver. Le public rit. Bernat se tait. Pas d'autre réponse, vraiment? Alors, pourquoi rencontrer le public? Pour lui dire qu'il est une composante reposante de la vie professionnelle de l'artiste? Pour le remercier d'avoir dépensé de l'argent pour venir agiter les bras en faisant l'arbre? De qui se moque-t-on à la fin?
En comparaison, "Diorama" joue avec les attentes du spectateur. Il lui propose un parcours. Il y a des embranchements dans ce parcours. La rencontre avec les spectateurs permet aussi un réel échange de ce qui s'est passé. Il y a un propos, fort, qu'on peut aimer ou pas, mais on ne se moque pas de moi.

Bref. La question fondamentale n'est pas "comment", mais "quoi". Le "comment" vient après. Et la réponse apportée au "comment" sera certainement meilleure si on sait "quoi".

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