vendredi 4 novembre 2005

Beigbeder / StarAc, même combat

[critique publiée dans L'entre-deux-lettres, revue littéraire étudiante]

A la fin de l'été j'ai lu Windows on the world, le fameux roman où Beigbeder dit avoir tenté d'imaginer ce qui s'est passé dans le restaurant du dernier étage de la tour Nord du Wall Trade Center, le 11 septembre 2001. Je l'ai terminé parce que j'ai tendance à avoir foi en les choses : page après page, une petite voix (trompeuse) me disait : ça va bien s'améliorer ; ça doit forcément s'améliorer. En fait le « roman » s'enlise jusqu'à sa fin, mais même les tours avaient plus de panache à leur écroulement que ces quelque 300 longues, très longues pages. « L'enfer dure trois heures, ce livre aussi »... Il ne croyait pas si bien dire.


Beigbeder a produit une « chose » inqualifiable, ni roman, ni autobiographie, ni même roman de gare ; chose visqueuse, larmoyante et assez bête. On pense ouvrir un livre qui nous bouleversera mais, de façon inattendue et contraire, les personnages de la fiction, stéréotypés à souhait, font avancer sans enthousiasme un récit inintéressant. Rien n'est crédible, le pire étant atteint quand l'auteur se glisse dans la peau des enfants confrontés au drame. Beigbeder reprend aussi le stratagème poétique utilisé par Begnigni dans La vita è bella, où un père rassure son fils en lui faisant croire que le camp de concentration où ils se trouvent n'est qu'un grand jeu : ici, le père invente pour ses enfants une version « animation 3D des tours » de la catastrophe. Mais les rejetons n'y croiront pas longtemps puisque la fumée leur brûle les poumons. A quoi sert, alors, cette reprise ? On fait de la poésie ou l’on n'en fait pas ; il faut savoir choisir entre littérature et chiens écrasés.

Mais justement Beigbeder n'a pas choisi. Nous le voyons, un chapitre sur deux, errer dans New York, pleurer sa fiancée, nous dire qu'il l'aimait mal, nous raconter sans raison apparente où il va se masturber, si et pourquoi il bande (il aimerait nous choquer, mais d’autres, tant d’autres, l’ont fait avant lui, et tellement mieux), nous raconter son enfance malheureuse de bourgeois qui n'a rien vécu et le sait et le déplore et se sait responsable de sa déploration, la laine de ses pulls-over qui lui grattaient le cou, et la difficulté de ses premières dragues. C'est là qu'on comprend que notre émotion, Beigbeder voudrait la destiner moins à ses personnages-prétextes factices, mal ficelés, qu'à leur créateur narcissique et apparemment mal remis de son adolescence. Car sinon quel but sert l’insertion dans la trame de ces chapitres personnels ? Où est passé le drame du 11 septembre ?

Pire, l'auteur s'excuse tout du long, dans des pages poisseuses et pathétiques. Oui, il sait qu'il est nul, qu'il n'a rien vécu, qu'il n'a rien à raconter, qu'il est superficiel, que les gens de ma génération le détestent (enfin un peu de justesse), il sait qu'il se complaît dans l'auto-complaisance, il s'en « accuse », et s'accuse de s'en accuser pour contrer par avance les critiques... ASSEZ ! A ce stade, un bon coup de pied au cul serait salutaire! Si Monsieur n'arrive pas à écrire ce roman sur le Windows on the world, comme il le dit plusieurs fois dans ses pages d’élucubrations new-yorkaises, c'est peut-être parce que, malgré l'ampleur du drame, il n'y avait rien de si intéressant à en dire de tout près, et tant qu'à faire, si le projet s'avère mauvais en chemin, autant brûler le manuscrit et passer à autre chose ! Mais peut-être le sujet n’est-il rendu caduque, en l’espèce, que par l’incapacité de l’auteur à sacrifier son ego au vrai sujet.

Le « roman sur le roman en train de s'écrire » s’est déjà cassé la gueule ailleurs. Mais si Pennac s'était pris, selon moi, les pieds dans le hamac avec son Dictateur [Le Dictateur et le Hamac], son roman pouvait malgré tout se targuer d'expérimenter. Et Pennac a écrit d'autres histoires. Beigbeder, lui, ne connaît qu'une source d'inspiration : LUI et ses petites passions détraquées. Si encore c'était de la mélancolie ; la mélancolie de l'écrivant... Mais la mélancolie est plus allusive, plus digne, moins plate. Son absence de distance vis-à-vis de lui-même empêche pour l'instant Beigbeder de faire de la littérature. Et devrait par dessus tout lui interdire de pondre quoi que ce soit sur lui-même en train de pondre.

Il y aurait cependant une certaine générosité dans l'intention : l'homme de 99 Francs croit encore à Lafayette et à la Libération, il trouve vraiment dégueulasse ce qui est arrivé aux pauvres gens qui étaient dans les tours. C'est sincère, on le sent. Mais c'est mal écrit. Etre ému et révolté ne suffit pas à faire un roman.

A quoi tient le succès de Beigbeder ? La pub, le réseau, les amis sans doute... Et après tout tant de gens regardent Star Academy, programme qui repose finalement sur des ingrédients semblables. Là aussi, ce ne sont que pleurs et minauderies fatigantes : Improviser ? Hihi ! Haha ! Non mais euh... Je sais pas, euh... Je sais pas quoi faire (+mouvement subtil de replaçage des cheveux derrière les oreilles), doutes métaphysiques sur soi étalés au grand jour du petit écran : Je suis passée du grunge au dark au sexy, comment vais-je faire en si peu de temps pour savoir qui je suis vraiment ?, et même, exposition du linge sale, au sens pas très propre du terme, des participants : Oh, Machine et Machin ont laissé traîner leur string et leur caleçon dans le vestiaire, c'est pas très clean. Ces jeunes gens semblent n'avoir rien vécu. En tout cas, ils se gardent bien d'en faire quoi que ce soit d'intéressant qui dépasse la célébration de la névrose personnelle.

Est-ce que cet étalage, ces productions « culturelles » reflètent quelque chose de nous, de notre société ? (Donc de moi aussi ?) Est-ce qu'aujourd'hui l'artiste est celui qui fait le moins possible rêver le peuple, qui nous offre ses chaussettes sales en guise d'horizon? Avec quelques coups de pied au cul, StarAc et Beigbeder prendraient peut-être un peu de hauteur.

vendredi 30 septembre 2005

Carlo Lucarelli, "Almost Blue"

Des personnages attachants qui ont de la teneur, un vrai suspense, la présence forte de la ville (Bologne), la musique de Miles Davis, celle des cloches de l'enfer, celle de Nine Inch Nails, une femme flic qui est une vraie femme, un aveugle qui écoute la ville sur des scanners. A lire. Et relire.

jeudi 1 septembre 2005

Michel Houellebecq est-il un con?

On peut légitimement se poser la question puisque c'est lui qui a commencé. Dans son texte "Jacques Prévert est un con", le poète du Cancre est aussi un "libertaire", soit "fondamentalement, un imbécile". Sa vision du monde est plate et lénifiante, Prévert ne voit pas les eaux boueuses de l'individualisme néolibéral où nous traînons, et donc, il est con.

Peut-être, peut-être...

Mais même si Prévert a "pour l'essentiel échappé aux thèses de 3e cycle", on ne pourra s'empêcher de penser que sa poésie est meilleure que celle de Houellebecq. Ou simplement, qu'il s'agit encore de poésie. Au fond le moi lyrique a disparu des poèmes de supermarché que livre Houellebecq. (Le tout est de se demander : se prend-il vraiment pour un poète? Ou ces productions constituent-elles une énième mystification littéraire?)

Qu'on barbote dans des eaux boueuses aujourd'hui ne fait aucun doute, mais ne devrions-nous pas malgré cela, ou justement à cause de cela, avoir l'ambition de rêver autre chose? Sans être naïfs, ne soyons pas pour autant cyniques. Non parce que ce rêve est plus "gentil", parce que c'est une BA, parce qu'il faut être libertaire, imbécile, verslibresque et prévertien. Mais parce que nous allons crever de ne pas rêver nous-mêmes et de subir les rêves des autres, fanatiques en tous genres qui pullulent un peu partout.

Quel est votre rêve?

jeudi 21 juillet 2005

Bruxelles

L'événement "175/25" : les 175 ans du Royaume de Belgique, les 25 ans de l'Etat fédéral belge. Et toujours la même âme étrange sur le Plat pays...





lundi 11 juillet 2005

Alice au Pays des Merveilles, parade de rue des JTE 2005

Une parade de rue clôt traditionnellement les Rencontres du Jeune théâtre européen. Chaque matin, les acteurs des troupes invitées se retrouvent donc sous la houlette des metteurs en scène présents. Au bout de la semaine, chacun de ces workshops présente un épisode de la parade...

En 2005, c'est l'histoire d'Alice au Pays des Merveilles qui est mise en espace urbain. On vivra le passage d'Alice dans l'autre monde sur le parvis de Notre-Dame, la rencontre avec la Chenille sur la Place Grenette, la partie de croquet au Jardin de Ville (avec la soussignée en joyeux Lapin fanfaron) ... le tout finissant en jongleries de feu, dans la nuit d'été!

Avant la parade, tous les participants se retrouvent dans une salle qui grouille de maquillage et de tissus froissés, dans l'adrénaline qui grimpe...


Sur le parvis de la Place Notre-Dame, Alice joue avec les dimensions de l'univers, trop petite ...

... puis trop grande !


Le TUT prête à la parade Manuela, une majestueuse et non moins terrifiante Reine de Coeur

dimanche 10 juillet 2005

Le désert habité présenté par le TUT à Grenoble

Le TUT est la troupe de théâtre de l'Université technique de Lisbonne. J'ai accompagné ce groupe dans le cadre des Rencontres du Jeune théâtre européen (organisées chaque année à Grenoble par le CREARC) en tant que référent et traductrice.

Le TUT a présenté à Grenoble un spectacle onirique, fragile et exigeant, mêlant des textes d'Antoine de Saint-Exupéry, Dino Buzzati, António Patrício, Almada Negreiros, Ramiro Osório et Jorge Listopad. Pour le festival, afin de mettre en avant la dimension européenne, le TUT a traduit en français, en anglais et en espagnol différentes parties du spectacle.

Le Professeur Jorge Listopad est le fondateur du TUT (1981) et son metteur en scène attitré. Exilé de son pays à l'époque où la Tchéocoslovaquie existait encore, il a vécu à Paris, puis s'est installé au Portugal. Résistant, poète et homme de théâtre, il a un humour savoureux et ironique.

Le trompettiste et jazzman Nuno Reis accompagnait la troupe pour assurer les effets musicaux :

Ici la troupe en séance d'échauffement, sous la houlette de Manuel Vieira :


Je retrouverai le TUT un an plus tard lors d'un voyages à Lisbonne, en pleine préparation de Só… no Quartier Latin. (voir ce post)

mardi 28 juin 2005

Bologne

Bella Bologna... Juste un soupir et no comment.





samedi 11 juin 2005

Par Tot à Bologne

La Par Tot est un événement urbain, collectif et fondamentalement festif. Sans avoir participé aux ateliers préparatoires, nous avons décidé, entre amis, de nous déguiser le jour de la parade, pour que nos coeurs battent à l'unisson de la ville. C'était l'année où j'ai vécu dans la Ville Rouge...


lundi 11 avril 2005

Le bar sous la mer au Jardin de Ville de Grenoble (Festivarts)

Où nous avons reçu le plus beau cadeau possible : des rires d'enfants...

...et où nous avons dû gérer l'intrusion dans le spectacle d'un homme énervé, qui nous prenait pour des évangélistes.

mardi 5 avril 2005

Californian Crawl, 'de' et 'pour' Stefano Benni

Grâce à une collaboration avec l'Institut culturel italien de Grenoble, nous avons pu présenter à Stefano Benni, auteur du Bar sous la mer, un extrait du spectacle mettant en scène plusieurs de ses textes.

Look déjanté pour un texte déjanté, fourbi d'alcooliques, de cocaïne, de sexe et de morts suspectes...


lundi 4 avril 2005

Le bar sous la mer à EVE, Grenoble

Deux soirées mémorables gravées dans les esprits des acteurs, mais aussi, je l'ai souvent entendu, des spectateurs! L'impression de toucher du doigt un petit bout de vérité, à travers un spectacle plein d'intentions généreuses et que l'énergie collective a porté à son optimum.

A l'entracte, nous avons servi le public sur la scène, au coeur du bar sous la mer! Au menu, vins italiens et petits arancini. Il s'agit d'une spécialité sicilienne : des boules de riz bien cuit fourrées (en l'occurence, à la mozzarella) et dorées dans la chapelure. Tout cela grâce à la collaboration du Club Oenologie de l'Institut d'Etudes politiques, qui a sélectionné les produits et assuré le service lors des représentations.


dimanche 3 avril 2005

Transformer EVE en Bar sous la mer

Le bâtiment de EVE se prêtait particulièrement bien à une mise en espace du Bar sous la mer : avec ses grandes baies vitrées, il nous offrait déjà un aquarium... il ne nous restait plus qu'à y verser des poissons!

Chacun s'y est mis et le découpage collectif, d'abord mécanique, a finalement vu les fantaisies de chacun prendre forme, à travers des silhouettes de méduses, d'algues, ou de bulles!

Nous étions très fiers du résultat. Qu'en pensez-vous? Jugez sur pièce de nos poissons voguant au coeur des Alpes!





samedi 2 avril 2005

Le bar sous la mer à l'Espace 600, Echirolles

Une version courte du spectacle a été présentée lors de la soirée anniversaire des 15 ans de l'Atelier Théâtre.

Un petit tour dans les loges, entre maquillage et lutte contre les extinctions de voix...

lundi 28 mars 2005

Des avant-premières du Bar sous la mer, Institut culturel italien de Grenoble

Avant les représentations, nous avons soumis certaines "histoires" de Benni composant le spectacle à un public italophile. Nous avons ainsi ouvert 4 ou 5 cours d'italien par un bref moment théâtral! 

C'était l'occasion de saisir une première fois des réactions, d'ajuster les costumes et les effets, et de goûter un peu à la scène, histoire de désirer plus encore un public entrevu. 

La bibliothèque de l'Institut se prêtait merveilleusement bien à l'histoire de Priscilla Mapple (ci-dessous) : un huis clos dans une salle de classe, mettant en scène une terrible détective adolescente plus intelligente que les enquêteurs...

jeudi 6 janvier 2005

Les vidéos des tsunamis

Ma première réaction à la vue de toutes ces images d'amateur :
mais comment peut-on continuer à filmer en un moment pareil?
Après quelques temps, mes hypothèses :
1. La perception particulière que l'on a d'une scène lorsqu'on la filme la rend irréelle, lointaine, comme télévisée. Les écrans ne provoquent pas chez nous de mouvement physique global : ils accentuent notres regard mais ce regard reste celui d'un corps immobile.
2. La curiosité humaine, celle qui nous fait dire "Regarde!" à un ami lorsque nous voyons une chose, une scène particulière (belle, laide, triste...), a sans doute gardé rivés à la scène un nombre incroyable de gens, qui n'avaient jamais vu un tel phénomène, et ignoraient sans doute pour beaucoup jusqu'au mot "tsunami" (tout comme moi d'ailleurs).
3. L'incrédulité, enfin, peut avoir poussé le caméramana à s'attarder sur la scène. "Suis-je devant une scène réelle?" se sera-t-il demandé. "Ce n'est pas possible, pas vrai." aura-t-il peut-être pensé.
Les dernières années auront vraiment été des années d'images. Après celles du 11 septembre, après la guerre d'images entre prison d'Abou Grahib et exécution d'otages, voilà les images des tsunamis qui nous marquent, nous interrogent, nous fascinent, et toujours - comme les icônes orthodoxes - nous renvoient à nous-mêmes.