samedi 27 novembre 2004

Mondovino

Il est frappant de constater l’incapacité du bon réalisateur à masquer ses sentiments dans l’exercice de ses fonctions. Ce qui rend attachant le film de Jonathan Nossiter, c’est justement qu’il filme avec son âme, et bonne âme ne saurait mentir : Michel Rolland est insupportable. Peut-être est-ce un homme charmant (on en doute un peu tout de même) mais Nossiter serait bien incapable de nous le montrer : seul le rire gras, bassement vendeur, du nouveau roi du vin parvient à traverser la pellicule. Puis, dans des plans rapprochés improbables, flous souvent, toujours honnêtes et scrutateurs, le regard des Mondavi père et fils fait peur tant il boit, jusqu’à plus soif, l’ambition. Quant à ce qu’on retiendra de l’attachée de presse de ces très-riches : une chevelure blonde découpée sur le ciel bleu californien – et quelques éclairs de génie en plein jour : son patron est un philosophe, dit-elle, car il a une philosophie du vin. A cette assertion lourde suit un silence assez long, assez bête... Nossiter a de l’humour. Un humour vachard.

Heureusement sa caméra montre, pareillement, ce qu’il aime, et filme avec amour, tendresse même, ces hommes et femmes traités de culs-terreux par (nettement) plus cons qu’eux. Là encore, ces paysans seraient tous de beaux salauds, qu’il serait incapable de nous le prouver. (Mais là encore aussi, on a un doute.) Le père et sa fille, le père et son fils, le mari et sa femme, la veuve, le veuf ; la bretelle détachée d’un vieil homme et le geste qui la rattache ; les dictons, anecdotes et scènes cocasses en arrière-fond des entretiens oenologiques – Nossiter ne se résout pas à les supprimer au montage. Heureusement.

En réalité, il ne parvient à montrer que ce qu’il ressent : des maisons de Bourgogne ou de Bordeaux, il nous offre un reflet chaleureux, tendre, un peu sépia déjà peut-être ; des bureaux, labos et autres Californian paradises, il nous renvoie la froideur, les couleurs criardes et la bêtise : tout ce qu’on le sent détester. « Nous essayons vraiment d’aider nos gens... C’est pour ça que nous leur offrons une casquette, ou un tee-shirt. Enfin, ça dépend ce qu’on fait cette année-là. » Air contrit, que nous laisse un instant savourer le plan. On acquiesce : elle est vraiment très bête.

vendredi 5 novembre 2004

Jeux d'enfants

Yasser Arafat est cliniquement mort. Je viens de l’apprendre il y a quelques minutes. Déjà l’annonce de la dégradation de son état de santé m’avait affectée ; maintenant, c’est une sorte de tristesse qui m’envahit, un vide lourd, un peu douloureux.

Ce n’est pas que je connaisse tant sa personne et son action ; ce n’est pas que j’aie approuvé tout ce qu’il a fait ; ce n’est pas forcément politique. C’est plutôt que, selon mon souvenir, il a été le premier homme politique identifiable de mon enfance (on peut certainement imputer ce fait au couvre-chef du vieux raïs, exotique et séduisant aux yeux d’un gosse).

Le premier homme politique qui peupla mon imaginaire politique d’enfant.
Avec aussi Khadafi, sous le nom duquel je faisais la guérilla dans la cuisine de ma tante (mais lui, c’était surtout son nom que j’aimais : je ne voyais pas du tout qui c’était) (évidemment).
Et plus tard, Mitterand, Rocard, Krazuki : autant dire la grenouille, le corbeau et le crabe de Stéphane Collaro – mais je les connaissais mieux que la classe politique belge.

Je ne l’ai pas renié. Peu à peu le drôle de chapeau, le colonel, le crabe, le corbeau et la grenouille ont pris leur place sur l’échiquier politique. J’ai désigné les bons et les mauvais, mes amis, mes ennemis. Mais Arafat, je ne l’ai pas renié. Je me demande si ma sympathie enfantine n’y a pas été pour quelque chose.

Premier homme politique de ma vie, donc ; et surtout, homme éternel. Il était toujours là, il était, comment dire, indéracinable ; invisible à force d’être présent. On se disait bien parfois : il vieillit ; comment feront-ils après lui ? Mais cela ne semblait pas devoir arriver.

Ainsi double est ma peine. C’est l’inquiétude pour la situation au Proche-Orient, l’inquiétude de la crise et de la déstabilisation, moments de danger. C’est aussi la fin des jeux de rôle où les torchons de maman étaient rois ; un morceau d’enfance qui s’en va pour toujours.