mardi 26 janvier 2010

Jean-Claude Carrière : mystère et nécessité du récit

Dans "Raconter une histoire", le célébrissime scénariste Jean-Claude Carrière pose à la fois la nécessité humaine des récits, et le mystère irrésolu de leur origine.

J'ai trouvé d'occasion ce petit livre datant de 2001, édité par la Fémis et à conseiller à plus d'un titre. D'abord, on appréciera son caractère déambulatoire : le propos se déroule en toute tranquillité, sans nous assommer de concepts de théorie littéraire. Il laisse cependant, très claires, un certain nombre d'idées en fin de lecture. Sur le cinéma et le théâtre, sur les contes et les conteurs. Il cherche à saisir la naissance des récits, des histoires. Il évoque le rapport du conteur à son public, celui des peuples à leur(s) histoire(s), et la nécessité apparemment immuable de (se) raconter.

Surtout, il reconnaît l'impossibilité de théoriser vraiment l'acte créateur, un aveu sincère qui justifierait à lui seul l'éloge de ces quelque 130 pages. Au fond, c'est une rêverie sur les histoires qui nous est donnée, puisque le propos est débarrassé de tout apparat normatif et accepte la part mystérieuse irréductible, un peu magique, des histoires. L'auteur est au passage ravalé au rang très humble de futur oublié, simple passeur des mots sortis d'une "bouche d'ombre" insaisissable, mère de tous les récits. Certains penseront que cette conclusion mystique ne méritait pas un livre. Pourtant, ce discours est loin d'être répandu (sauf peut-être parmi les écrivains eux-mêmes - et de fait, Carrière en est un) : on lui préfère bien souvent de fausses réponses, ordonnées et rassurantes, en réalité creuses, mais effectivement attendues par un certain public.

Se rejoue ici l'opposition entre une conception française de la création et une tradition anglosaxonne plus pragmatique. L'erreur consistant sans doute à penser que la recette seule puisse suffir. Intéressantes pour qui est en mesure de les utiliser, les règles de composition restent intimidantes pour qui cherche l'écriture, qui naîtra presque toujours d'un ailleurs indéchiffrable. Sans compter qu'elles mettent en cage des genres qui finiront par passer. C'est là l'infinie frustration de la poétique...

Rien de tout cela dans ce livre libératoire et jubilatoire, qui nous amène par ailleurs à fréquenter les récits des quatre coins du monde, de l'Inde du Mahabharata au Japon du théâtre No, en passant par les contes des poètes soufis. Universel, érudit sans en avoir l'air et rafraichissant.

[Jean-Claude Carrière, "Raconter une histoire", Editions La Fémis, collection Ecrits/Ecrans, 2001.]

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