lundi 8 février 2010

Natacha de Pontcharra : un théâtre à la recherche de la fluidité

L’auteure dramatique Natacha de Pontcharra sera mercredi prochain à la Librairie Decitre de Grenoble, pour présenter son nouveau recueil comprenant les pièces L'Angélie et L'enfant d'août, dont elle fera la lecture. En mai 2004, je l’avais interviewée à l’occasion du festival New Drama Action de Vilnius, où la pièce Les Ratés était présentée. Cette interview a été traduite et publiée en lituanien, mais jamais en français. La voici…

-Les utopies sont le thème du festival de Vilnius cette année. Retrouve-t-on ce thème dans vos pièces ?

-L’utopie, c’est après la sortie du Jardin d’Eden… Ce qu’on cherche après l’avoir perdu... Dans mes pièces, on retrouve l’utopie dans le rapport à l’enfance, à un monde par où on a passé, et où l’on repasse, mais chaque fois avec un regard différent, une manière différente. Dans Les Ratés, il y a des personnages qui sont restés primitifs à ce point de vue.


-N’y a-t-il pas dans cette pièce une utopie dans le fait de vouloir s’identifier aux autres, devenir comme eux ? C’est l’obsession des personnages...
-Oui, et en plus il y a eu rejet, donc ils essaient de s’intégrer. Mais je vois dans le mot utopie un sens plus positif. Plutôt l’idée de retour à quelque chose d’enfantin. Les personnages des Ratés sont des innocents.

-D’autres personnages de vos pièces ont-ils ces caractéristiques ?
-Oui, par exemple dans Mickey La Torche, Mickey a du mal à communiquer avec les autres. Il est dans une sorte d’enfermement. Il a envie de travailler mais n’y arrive pas ; il veut communiquer, mais il finit par surveiller sa voisine au lieu de communiquer avec elle...

-Vous vous intéressez beaucoup au monde du travail dans vos pièces. Pourquoi ?
-Parce que le travail est devenu un moyen de s’intégrer, qu’on soit homme ou femme, jeune ou vieux... Pour la femme, il y a quelques décennies, faire des enfants était un autre moyen de s’intégrer. Mais aujourd’hui, on est tous sur la même ligne. Il n’y a plus de nantis non plus, des gens qui ne seraient pas confrontés à cela. Tout le monde rencontre cette question à un moment ou un autre. Et puis on est très vite exclu.

-Quelles sont les autres thématiques importantes pour vous ?
-La relation à l’autre. La famille... La difficulté de communiquer les uns avec les autres. Avoir des communications réussies, épanouies. Les personnes ont des difficultés à communiquer.

-Alors ce serait peut-être ça, l’utopie, retrouver cette communication épanouie ?
-Oui, que cela débouche sur une paix, sur quelque chose de fluide... Arriver à se faire comprendre, ce qui irait à l’encontre des conflits, qui ont souvent pour source des malentendus.

-Vos personnages sont fort heurtés... Ils ont du mal à atteindre la plénitude...
-Ils ont du mal à s’exprimer, tout simplement. Il y a aussi tout l’aspect des jeux de langage, des mots à double sens ; entre eux, ils arrivent à s’exprimer, à s’expliquer, mais sinon, il y a une confusion et une profusion de sens.

-Pensez-vous qu’il faille des utopies pour rendre le monde vivable ?
-Oui, mais dans le sens positif du mot utopie. Tout à l’heure, Tom Cruise au Festival de Cannes disait qu’il y a vingt ans, traiter quelqu’un d’utopiste c’était lui trouver une qualité, mais qu’aujourd’hui c’était devenu un défaut. Je pense que c’est assez juste. C’est devenu un défaut d’être utopiste, parce que ce n’est pas productif.

-Vous vous érigez contre la société de la productivité ?
-Oui. On nous crée des désirs qui ne sont pas les nôtres, on les impose, on les multiplie... Ce ne serait pas mal de revenir à une vie plus simple, qui ne soit pas basée sur une consommation à outrance – où je marche aussi moi-même, c’est vrai – qui est une course vers la catastrophe. Certains y sont déjà, et pour nous, cela arrive...

-Par rapport à votre parcours – vous avez été peintre, graphiste, nouvelliste – pourquoi finalement en êtes-vous venue au théâtre ?
-J’étais un peu dans ce même univers, qui consiste à parler du monde avec un autre monde, à obtenir un temps de repos pour regarder ce qui se passe... Ecrire et peindre contre la rapidité du monde. Et puis, c’est la rencontre avec Lotfi Atchour qui m’a lancée. J’ai trouvé que c’était quelque chose d’assez d’idéal : travailler à la fois avec des gens et seul, en même temps.

-Quels sont vos projets actuels ?

-Je suis en train de finir une pièce pour les jeunes, Je ne m’appelle pas Shéhérazade. Elle a été montée en atelier à Toulouse et elle va être publiée. L’idée était de se mettre à l’écoute d’adolescents d’aujourd’hui, entre 17 et 19 ans. C’est une pièce pour dix comédiens environ. Le point de départ est onirique : la rencontre entre un garçon et une fille autour d’un manuscrit. La fille écrit, mais elle n’écrit que des premières pages ; lui, voudrait écouter l’histoire. Et pendant que ça se passe, d’autres personnages viennent parler, par devant. C’est une vision kaléidoscopique de ce que pourrait écrire une adolescente.

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