vendredi 31 décembre 2010

"Entre les murs" et "La journée de la jupe" : un portrait de vies et un voyage intérieur pour dire le même malaise

Hier et aujourd'hui, je me suis fait un petit doublé gagnant. En retard comme trop souvent, j'ai vu les deux films parlant de l'école en France et qui ont chacun à leur manière défrayé la chronique : "Entre les murs", Palme d'or à Cannes (2008) presque unanimement saluée par la critique, rejetée par certains enseignants qui ne se reconnaissaient pas dans ce portrait d'un collège de ZEP aux accents malgré tout positifs ; "La journée de la jupe" (2009), nettement plus aux frontières du montrable et du politiquement correct, mal distribué sans doute justement pour ce point de vue provocateur et libérateur à la fois.

Je pensais que je me rangerais forcément d'un côté ou de l'autre : qu'un film ou l'autre l'emporterait pour moi dans la transmission d'une certaine vérité. En réalité, les deux films semblent constituer les deux faces d'un même miroir. Comme si toute la belle énergie déployée par les profs mis en scène dans "Entre les murs" creusait sournoisement en eux une fatigue qui ne demanderait pas grand-chose pour basculer. Ce moment de passage est d'ailleurs mis en scène dans "Entre les murs", quand le prof de français pète un plomb et lance ce qui peut être retenu comme une insulte à deux élèves de sa classe. De là à les prendre en otage comme dans "La journée de la jupe", il y a loin, très loin vraiment. Mais quand "Entre les murs" décrit, très honnêtement et simplement, la vie d'un collège, "La journée de la jupe" montre de façon épique l'enlisement psychologique où peut tomber le prof qui la vit. Le film de Cantet montre un récit vu de l'extérieur : la vie d'une institution, ses rouages et la place de l'individu au sein de ceux-ci (son poids, ou son insignifiance) ; celui de Lilienfeld est une histoire intime et interne, le drame psychologique vécu par l'enseignant parfois (ce n'est pas un hasard si le film est un huis-clos).

Dans les deux cas, ce qu'on retiendra, c'est d'une certaine façon la bande son. Le silence, les cris, les discussions usantes, les mots qui fusent, les insultes, le langage trituré, malmené, violenté. Ca fait mal, c'est parfois douloureux à écouter tant les échanges sont heurtés, manquent de cohérence, de logique, de douceur, de bonne volonté, d'humour, d'intelligence. La langue constitue véritablement un personnage à part entière de chacun de ces films, avec un affrontement continu et usant entre les personnages dans le film de Cantet, et au contraire un affrontement tranché entre une parole dominante et une parole menacée, dans le film de Lilienfeld. Là encore, il y a continuité entre un point de vue collectif sur l'institution et un point de vue psychologique individuel : décrire un brouhaha et la capacité de l'individu à y faire face en réprimant ses instincts violents face à sa mission d'enseignement, ne contredit pas un portrait de la face interne du même individu qui rêve d'un silence où laisser s'épanouir une parole, pourtant bienveillante, si malmenée. C'est en tout cas ainsi que j'ai reçu la "Journée de la jupe" : un scénario expressionniste pour une réalité trop tue et qui, par là, tue, ronge, fait honte.

De toute évidence, il y a malaise dans l'école française, mais ceci n'a rien de nouveau. Par contre, que deux films l'expriment, aussi bien, et de ces deux manières, est peut-être le début de quelque chose. D'un langage (cinématographique pour l'instant) qui reprendrait le dessus. D'une parole qui commencerait à se former sans honte. D'une revalorisation de ce métier, de sa dureté, de sa pénibilité. De son importance.

Et pour la peine je dédie ce post à Grégory, qui enseigne et en est si fier.

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